Paradoxalement, c’est au moment où le vote des membres du parti semble avoir tranché la question du maintien d’un parti communiste, que le débat sur cette question est en plein développement.
En fait, ce n’est pas vraiment étonnant, dans la mesure où aucun des textes en présence ne proposait cette alternative. Personnellement, je regrette que ceux qui sont accusés, à tort ou à raison de vouloir dissoudre le parti n’aient pas jugé utile de soumettre un texte aux votes des militants, ce qui aurait pu contribuer à clarifier les positions des uns et des autres.
D’autre part, si des forces existent au sein du parti qui proposeraient cette dissolution, ce n’est à mon avis pas si clair dans les textes qu’ils produisent, pour ce dont j’ai pu prendre connaissance.
Que ce soit la contribution de Jean-Claude Gayssot paru dans l’huma, ou dans le texte publié récemment par des membres de la direction du parti, dont Elizabeth Gauhier, François Auguste, Patrice Cohen-Séat, etc, je ne suis pas sure d’avoir vu énoncé clairement dans ces textes la proposition de dissoudre le parti à travers la création d’un mouvement beaucoup plus large. L’affirmation de la nécessité d’une transformation du parti et de l’ouverture à des mouvements de luttes et des formes de militantisme participant des cultures politiques différentes ne renvoie pas me semble-t-il à la création d’une nouvelle force politique où le parti communisme se diluerait. Il n’en reste pas moins que dans l’esprit de tous, la question de savoir s’il faut ou non garder un parti communiste est au cœur d’un débat important.
Pour moi, disons d’emblée que la question de la nécessité de maintenir le PCF n’est pas une question taboue ; disons aussi qu’elle ne relève pas, et loin s’en faut, de la volonté politique des militants. Le PCF peut tout aussi bien mourir indépendamment de notre volonté politique de le maintenir en vie, et on peut même craindre qu’il ne soit en bonne voie.
La question de la nécessité du parti me paraît subordonnée à la question de la visée communiste. C’est la perspective d’une telle visée qui pose la question du type d’organisation nécessaire pour avancée vers sa réalisation.
Nous devons donc d’abord nous interroger sur ce que c’est cette visée communiste, comment la différentier de ce qui s’est mis en œuvre dans les pays dits socialistes (expériences dont il reste à mon avis, au delà de la condamnation, à analyser pleinement les causes) et si nous souhaitons maintenir la visée communiste comme un horizon de luttes.
Donc partir de ce que serait la visée communiste et commencer par mieux la définir :
Pour Lucien Sève, Marx conçoit le communisme comme le mouvement réel qui dépasse l’état des choses existant. Je suivrais également Patrick Tort pour mettre au cœur de la visée communiste l’idée-force de la réalisation de l’égalité, la suppression de l’aliénation de l’homme à travers la remise en cause radicale des rapports de domination économiques et politiques qui caractérisent le capitalisme. Ce qui pose la question de la démocratie comme outil et comme fin de la transformation sociale. Et celle du contenu que nous donnons à cette démocratie.
Donc la question de la nécessité d’un parti communiste est liée à la question de savoir s’il existe en France des forces se plaçant dans cette visée communiste. Si une autre force politique existait qui se place dans cette perspective de manière potentiellement ou réellement plus efficace que notre parti, alors ceux qui se réclament de la visée communiste doivent se poser la question d’y adhérer. Si elle n’existe pas, il faut la construire et se poser la question de savoir si c’est à travers une transformation du parti ou en construisant une nouvelle organisation. L’existence de notre parti n’a de sens que s’il se place explicitement dans la visée communiste, mais également s’il se donne les moyens d’être l’outil le plus efficace au service de cette visée. Pour moi, c’est ainsi que je m’interroge sur la nécessité ou non de conserver le parti.
Or force est de constater qu’il y a une certaine vérité dans la formule de Jean-Claude Gayssot. : sortir de l’insignifiance, ou de la préoccupation d’un texte de Janine Guespin qui constate la « détérioration progressive et jusqu’à présent inexorable de l’influence du PCF dans la vie politique française ».
Je ne crois pas que la solution pour sortir de cette situation soit un repli identitaire, surtout construit sur la base d’un discours incapable d’analyser et de prendre en compte les transformations du monde et de la société autour de nous.
Ainsi il est urgent de revisiter un certain nombre de fondamentaux marxistes, non pour les abandonner, mais pour leur redonner un contenu concret dans les conditions actuelles des sociétés contemporaines, faire l’analyse concrète de situations concrètes pour reprendre la formulation de Lénine.
Commençons par la notion de classe :
Comment caractériser les classes sociales aujourd'hui?
Quelle serait la 'classe' révolutionnaire? La classe ouvrière? Comment celle-ci s’est transformée? A la fois économiquement et dans la conscience qu’elle a d’elle-même. Ou plutôt le prolétariat ? Qui serait défini comment ? Ou faut-il plutôt parlé d’affrontements capital/travail. On a alors la classe des travailleurs (salariés essentiellement) et celle des détenteurs du capital, la confrontation étant entre travail et capital.
Mais alors il faut prendre en compte les phénomènes de fonds de pension, d’épargnes actionnariales qui viennent brouiller les cartes, et enrôler les travailleurs dans la participation à leur propre exploitation contre leurs intérêts objectifs. Plus largement il faut analyser tous les outils que le capital met en œuvre pour obtenir cette participation.
Comment analysons-nous les évolutions de la société? De la conscience de classe? Pour moi, il me paraît clair que l'essentiel des luttes, aussi fragmentées soient-elles se passent en dehors de nous. Loin d'être à la pointe, nous sommes souvent à la remorque, et vécus au mieux comme inutiles. Nous avons largement sous-estimé (peut-être en raison de notre conception de la classe ouvrière, de son rôle comme classe révolutionnaire, d’un déficit d’analyse des transformations sociales qui se sont produites, particulièrement après la deuxième guerre mondiale) nombres de mouvements émancipateurs qui se sont développés, quand nous ne les avons pas carrément freiné : mouvements féministes en particulier, mais aussi luttes des immigrés, des chômeurs, mouvements altermondialistes…Et le fait que ces mouvements soient nés et se soient développés en dehors de nous y est sans doute pour beaucoup. Et quand nous avons réalisé l’importance de ces mouvements, nous avons été incapables de définir un rôle spécifique du parti dans ces luttes. Il me semble que nous oscillons sans arrêt entre le rejet pur et simple, la participation en donneurs de leçons, ou l’abdication de ce que nous pourrions y contribuer spécifiquement.
Ce qui pose la question du rassemblement et de notre stratégie. Si l’on vise à un mouvement émancipateur qui remette radicalement en cause les rapports de dominations sociales et économiques du capitaliste, mouvement qui doit se développer démocratiquement et devenir majoritaire, si on renonce à la vision du grand soir et de la prise de pouvoir insurrectionnelle, alors cette question du rassemblement majoritaire est incontournable. Reconnaître dans les luttes qui se mènent aussi parcellaires soient-elles, leur portée émancipatrice, et donc comme participant du mouvement même du communisme en train d’accoucher, même sans se penser comme-t-elles, nous impose de réfléchir sur notre rapport difficile à ces luttes. Ceci pose la question effectivement de notre ouverture aux autres, à d’autres cultures politiques. Nous pouvons et devrions analyser deux expériences récentes : le succès du rassemblement pour le non et l’échec des collectifs unitaires. Ouverture à d’autres cultures, cela ne veut pas dire abolir notre spécificité. Quel serait le rôle spécifique de notre parti dans ce rassemblement ? Pour reprendre là aussi une contribution de Janine Guespin, dans laquelle je me retrouve :
« Il est indispensable de parvenir à articuler ces luttes émancipatrices et la bataille politique globalisante. Articuler, cela ne signifie pas ‘ajouter’ ces deux types de luttes, car elles sont à la fois indispensables et très différentes. Ni que les unes doivent absorber, surplomber ou diriger les autres. Cela signifie fertiliser la bataille politique avec les idées et les expériences issues des luttes émancipatrices et renforcer les luttes émancipatrices à la fois par les succès politiques et par l’enrichissement théorique du patrimoine communiste ainsi renouvelé. Cela signifie tenir compte de ces initiatives émancipatrices, même si elles sont le fait de personnes qui rejettent a priori toute idée de communisme. C’est une nouvelle culture, qui exige une nouvelle pratique, et qui peut devenir, progressivement, celle d’une organisation communiste réellement tournée vers le communisme. »
Je souhaite également aborder le problème de la constante référence à la "gauche" ou « au peuple de gauche », présente dans la base commune. Selon moi, le parti à reconstruire n’est pas comme le dit Martelli « une nouvelle force à gauche », une force à gauche de la gauche, où l’objectif est de se positionner (en termes électoralistes ?) dans l’éventail de l’offre politique nationale. Le parti ne doit pas se positionner en termes d’offres politiques, les places gagnées sur le marché politique déterminant ensuite la stratégie des alliances, mais bien par rapport à la visée communiste et dans une relation renouvelée au peuple, au monde du travail, à la classe des dominés (qui va bien au-delà de la classe ouvrière). Il peut certes y avoir référence à la gauche au niveau des valeurs (des valeurs de gauche). Mais construire le rassemblement majoritaire, c'est élargir ces valeurs à l'ensemble des forces productives, le monde du travail, du salariat.
Ainsi la notion ‘Le peuple de "gauche" me paraît trop vague et peu pertinente pour penser une base sociale et politique de transformation radicale.
Il faut mener le combat idéologique pour concrétiser cette base sociale en force effective d'émancipation. Mais en prenant en compte et en respectant la recherche de ce qui s'y passe ou s'est passé.
Pour conclure, je voudrais citer à nouveau Patrick Tort en conclusion, qui écrivait en 1985 : « Le marxisme doit être profané. Cela signifie qu’il doit sortir du temple. Qu’il doit être montré aux yeux du peuple comme un grand texte qui le concerne et qui a même cherché à formuler la vérité de sa mission historique. Un grand texte qui enferme une grande logique où sa force et sa pensée s’organisent en projet et en action. »
Ce passage m’a fait penser à une autre tradition, très éloignée de la nôtre, mais qui m’a suggéré une idée.
Il existe dans le protestantisme, en tout cas dans le protestantisme historique réformée, à défaut du protestantisme évangélique anglo saxon que nous pouvons avoir en tête, une tradition de lecture de la bible, lecture s’alimentant des approches historico-critiques développées depuis la fin du 19ème siècle. Cette tradition est mise en œuvre à travers des groupes d’animation biblique, où, aidées par des personnes compétentes, les personnes intéressées (pas nécessairement croyantes du reste) lisent les textes, s’interrogent sur leur signification au moment où ils ont été produits, et sur leurs portées éventuelles pour eux aujourd’hui.
Je pense que la même démarche pourrait s’appliquer au corpus théorique du marxisme. Nous regrettons souvent un déficit d’analyses, d’élaborations théoriques ; en fait, il se passe beaucoup de choses dans et autour du parti, à Espace-Marx, à la fondation Gabriel Péri, ou ailleurs. Or, j’ai l’impression que tous ces travaux, pourtant souvent très intéressants, ne se reflètent pas dans les textes politiques que nous produisons, ne parviennent pas à être des guides pour l’action politique. Or c’est peut-être là qu’une organisation comme la nôtre aurait le plus à amener, par sa référence marxiste, Marx insistant justement sur cet aller-retour entre théorie et pratique.
C’est bien dans un tel souci que notre section a organisé plusieurs conférences. Mais ces conférences, si elles sont utiles, ne permettent pas vraiment aux militants de s’approprier les questions abordés y compris en pouvant contribuer par leur réflexion commune et critique à l’enrichissement de la réflexion. Je me demande s’il ne serait pas possible de s’inspirer du modèle des groupes d’animation biblique pour créer des groupes d’animation marxiste, où nous relirions Marx ensemble, collectivement, aidés par des personnes compétentes pour éviter les contresens historiques, afin de nous l’approprier pleinement pour nous, aujourd’hui, dans nos pratiques politiques.
mercredi 19 novembre 2008
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